Madalenna traversa la place où se pressaient quelques dizaines de badauds et gagna sans se presser un coin qui semblait accueillant, casé entre deux arbres un peu rabougris qui se balançaient dans les rafales.
Nébuchad s'envola aussitôt pour s'y poser tandis que la jeune femme étalait son manteau par terre et ôtait ses bottes.
Pieds nus sur les pavés, ses longs cheveux tressés virevoltant dans les bourrasques, elle sortit des balles colorées de ses poches et commença à jongler pour se dégourdir les doigts.
Les balles bondissaient, retombaient, rebondissaient sur le sol, à gauche, puis à droite...
La tête renversée en arrière, la jeune femme chantonnait un air sans suite, les yeux mi-clos et absorbée par les mouvements harmonieux de ses mains et des balles qui traçaient des cercles colorés dans l'air brassé par le vent.
*N'oublie pas le vent des routes*
Nébuchad étendit ses ailes et poussa un léger croassement, puis s'envola et se laissa porter au-dessus des toits par ce vent qui semblait apporter avec lui des rêveries de liberté.
Sa chanson semblait le suivre, portée par les rafales, distillant dans l'air des songes de montagnes et de neiges, de nuits glacées et de brumes rampantes.
Et Madalenna chantait, tournoyait en jonglant avec ses petites balles aux couleurs de ses cheveux et de ses jupes, vert, noir, puis rouge, orange et gris comme l'éclat dur et ardent de ses yeux.
Et Madalenna oubliait, oubliait la faim, la misère et l'ombre de son propre coeur; les nuit glaciale et toutes les fois ou elle avait cru mourir.
Et Madalenna s'oubliait dans les bourrasques et la danse infinie de ses mains et des petites sphères de tissu roulé.